Le 26 novembre dernier, le Parlement européen a adopté une résolution non contraignante en faveur d’un âge minimum de 16 ans pour accéder aux réseaux sociaux, aux plateformes de partage vidéo et aux assistants à IA. Les eurodéputés appellent aussi à y interdire l’accès aux moins de 13 ans, sauf pour ceux disposant d’un accord parental.
Voilà une réforme qui ne fera pas que des émules. Et pourtant, les motifs invoqués dans la balance au Parlement européen vont bon train, à commencer par les risques encourus pour la santé mentale et physique des mineurs que comporte l’usage “problématique” du smartphone. Celui-ci a été constaté chez 25% des jeunes, favorisé par des contenus addictifs (scrolling, défilement infini, lectures automatiques, validation par le like – boucles de récompenses) sans oublier les contenus haineux, dangereux et illégaux qui pullulent sur les réseaux sociaux.
Le rapport demande également l’interdiction des algorithmes de recommandation pour ce public, autrement dit des loot boxes dans les jeux, de la publicité ciblée ou manipulatrice, et des incitations commerciales (kidfluencing). L’objectif recherché étant une mise en adéquation de l’environnement numérique avec les exigences européennes, conformément à la nomenclature dite “age-appropriate by design”.
Ces débats s’insèrent plus largement dans un contexte de régulation des plateformes, de lutte contre la désinformation, de la collecte des données et des algorithmes de recommandation. La diffusion massive de contenus polarisants via ces derniers peut en effet conforter les jeunes dans des bulles idéologiques et remodeler les opinions en l’absence de médiation ou d’esprit critique.
Pour les politiques, les moins de 24 ans représentent un enjeu électoral certain, alors même que seule la moitié de cette catégorie d’âge a voté aux deux tours de la présidentielle de 2022. Sa participation peut pourtant s’avérer cruciale dans la bascule des résultats. Les mobiliser pour les atteindre plus facilement devient alors chose aisée en se montrant proche de leurs réalités comme c’est souvent le cas sur les réseaux.
Dès 2024, en France, l’autorité de régulation numérique, l’Arcom, s’est engagée à coordonner la mise en œuvre de la régulation européenne -notamment pour vérifier l’âge sur les plateformes “adultes” comme celles de pornographie-, mais plus largement pour protéger les mineurs sur le web. Le lancement d’un Observatoire de la haine en ligne a quant à lui pour objet de réfléchir aux modalités de modération, aux pratiques des plateformes, aux conditions générales d’utilisation, et au rôle des associations “trusted flaggers” pour signaler les contenus illicites. Sans vouloir brider la liberté d’expression en ligne, le nouveau mantra à suivre s’apparente à moins d’impunité algorithmique, plus de responsabilité.
Les limites d’une mesure fondée uniquement sur l’âge
L’instauration d’un âge minimum ne résout pas tous les problèmes pour autant. L’édification d’un “mur d’âge” peut être contourné et ne garantit en rien que les adolescents n’utilisent uniquement les plateformes en conformité. De plus, à ce jour, les détections de contenus haineux ou toxiques demeurent inefficaces, comme le souligne la European Union Agency for Fundamental Rights (FRA), dans la mesure où la définition même de ce qu’est un discours de haine peut varier, et les outils automatiques ou humains ne permettent pas encore de tout détecter. D’autant que les contenus problématiques n’utilisent pas forcément des insultes explicites : le recours à des mèmes, images ou émojis est également autant de formes “contournées” ou “détournées” de la haine et du harcèlement. Les recherches en ce sens montrent qu’une simple censure textuelle ou un blocage fondé sur des mots-clés s’avèrent insuffisants.
Par ailleurs, dans un contexte de défiance et de contestation des instances gouvernementales et intergouvernementales, la régulation implique un arbitrage délicat entre liberté d’expression et protection, qui peut raviver le débat sur la “censure de masse” et affaiblir les démocraties. En effet, un cadre trop rigide pourrait aboutir à des suppressions abusives, des effets d’autocensure, voire une dilution du débat démocratique.
Sur quelles ressources miser ?
L’éducation demeure encore le meilleur rempart contre la diffusion de fake news, tandis que l’introduction d’un âge minimal à lui seul ne développe pas l’esprit critique ni ne forme à la responsabilité numérique. Son impact reste donc limité en l’absence d’accompagnement pédagogique.
D’ailleurs, l’un des enseignements majeurs des États généraux de l’information (2023-2024), pilotés par Bruno Patino, journaliste et dirigeant de presse français, réside dans l’éducation aux médias et à la réception de l’information. Face à la fragmentation du paysage médiatique et à la défiance démocratique, le rapport prône une action holistique, qui passe par : une éducation aux médias, la lutte contre la désinformation, une meilleure reconnaissance du travail de journaliste et un renforcement de l’esprit critique dès l’école. Les cours d’EMC doivent ainsi être repensés autour de la laïcité, du numérique et de l’éco-citoyenneté, tandis que l’apprentissage du décryptage de l’information doit s’étendre aux universités et aux entreprises qui forment les leaders de demain.
A ce sujet, l’UNESCO, dont le “secteur Communication et Information” promeut depuis des décennies la liberté d’expression, la circulation de l’information et le développement des médias. L’organisation n’appelle pas à une interdiction pure et simple de l’accès des jeunes au numérique, mais préconise de renforcer le rôle de la formation critique et l’encadrement pour leur permettre de comprendre.
La résolution adoptée par le Parlement européen ne doit pas non plus occulter l’autre face du problème. A savoir, la responsabilisation des plateformes, l’interdiction des pratiques addictives ou manipulatrices, et à l’échelle nationale la mise en œuvre du Digital Services Act (DSA), qui impose transparence, modération, signalement et retrait des contenus illégaux.
Ce rapport non contraignant a recueilli pas moins de 483 voix pour. Les abstentions (86) et votes contre (92) se situent majoritairement à l’aile droite de l’hémicycle avec les députés de l’Europe des Nation souveraines, les Conservateurs et Réformistes européens ainsi que les Patriotes qui affichent clairement leur désaccord. Du côté français, les députés macronistes ont déposé un projet de loi visant à interdire l’accès aux plateformes au niveau national pour les moins de 15 ans et entendent également déployer un couvre-feu numérique pour les 15-18 ans de 22 heures à 8 heures du matin.



