Pour Nicole Fontaine, présidente du Parlement européen de 1999 à 2002, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne peut-être un choc salutaire. L’occasion de repenser l’Europe après “la longue descente aux enfers” qu’elle a connu ces dernières années. Interview.
Pour vous le Brexit est “une chance”. Savez-vous s’il y a beaucoup de dirigeants ou de parlementaires européens qui pensent comme vous ?
Je distinguerais pour cela l’avant de l’après Brexit. Au cours de la période qui a précédé le référendum britannique, j’ai eu le sentiment que beaucoup de responsables européens auraient préféré que le “remain” l’emporte. Simplement parce qu’un tel résultat aurait été plus confortable, sans qu’il y ait la nécessité de se remettre en question pour la suite. L’Europe n’en était pas moins malade : le maintien du statu quo lui aurait été mortel, sauf que personne n’osait le dire ouvertement. Dans ce contexte, mon livre (Brexit : une chance ?) a fait l’effet d’un coup de tonnerre : comment l’ancienne présidente du Parlement européen pouvait-elle penser que le Brexit serait une chance ? Autant dire que la question était politiquement incorrecte.
Sauf qu’une fois le référendum passé, quelque chose d’intéressant s’est produit : un regain du sentiment pro-européen dans six pays, d’après une enquête publiée dans le journal Le Monde. Comme si la sortie du Royaume-Uni avait provoqué un électrochoc, qui au lieu d’enterrer l’Europe amenait l’occasion de la repenser et de tirer les leçons de ses échecs. C’est du moins l’opinion que partagent désormais de nombreux élus européens, appelant à se focaliser sur l’avenir et relégitimiser les institutions européennes. J’ai d’ailleurs été très surprise de n’avoir reçu aucune lettre d’injure ou de critique après la sortie de mon livre, malgré les turbulences qui ont suivi le référendum britannique. Cette appréciation me conforte que le Brexit apporte une chance de reprendre la construction européenne.
On reproche beaucoup à l’Union européenne son échec quant à la gestion des “crises”, la dernière en date étant la vague migratoire. Est-ce parce que l’Europe ne réagit qu’après coup, quitte à se laisser dépasser, au lieu d’anticiper le problème ?
Le manque d’anticipation est en effet l’un des reproches qui peut être fait à la Commission. Si on se replace dans le contexte, le début de la débandade européenne est parti de la désastreuse guerre d’Irak menée par Georges Bush. Jacques Chirac était farouchement contre, Tony Blair soutenait les Etats-Unis tandis que huit pays européens avaient même publié une lettre ouverte de soutien au président américain : autant de divisions en interne qui ont mis l’Europe au balcon. C’est pourtant à ce moment-là qu’elle aurait dû prévoir les désastres à venir, comprenant que l’occupation américaine ne serait pas en mesure de régler les rapports entre chiites et sunnites. Même scénario concernant la Libye, désormais devenue un état de non droit et l’un des plus grands pourvoyeurs d’armes du monde.
En réalité, je pense que nous n’avons pas été assez solidaires des pays qui avaient très bien géré la transition du printemps arabe, notamment le Maroc, la Tunisie ou l’Algérie. Une fois l’enthousiasme passé, le concours de l’Union européenne n’a pas été à la hauteur de ce qui aurait été nécessaire pour les soutenir. Manque d’anticipation là aussi : aujourd’hui, une partie importante des jeunes djihadistes viennent de Tunisie car ils sont désœuvrés et manquent de perspectives. Quant à la vague migratoire, je suis persuadée que l’Europe doit rester une terre d’accueil et ne pas reconstruire les murs que nous avons fait tomber à Berlin. C’est d’ailleurs ce renoncement à ses propres valeurs qui a décrédibilisé dernièrement l’Union Européenne.
Pensez-vous que le Brexit témoigne, d’une certaine manière, d’un repli nationaliste ou d’un fantasme “d’autarcie” que l’on retrouve actuellement dans de nombreux Etats du monde, notamment via la montée des extrêmes droites ?
Si l’on constate bien un repli nationaliste dans certains pays, la situation de la Grande-Bretagne reste quand même très particulière. C’est en quelque sorte l’histoire d’un malentendu : les Britanniques voulaient rentrer dans un marché unique sans imaginer qu’il y aurait une réglementation européenne ou des contraintes qui leur seraient imposées.
Bien que la question migratoire ait été beaucoup invoquée lors du référendum, je crois que leur décision témoigne surtout du rejet d’une construction européenne qu’ils ont mal perçue alors qu’elle leur apportait beaucoup. Le Brexit est donc l’occasion de clarifier cette relation pour convenir d’un divorce à l’amiable : la Grande-Bretagne ne pourra plus empêcher les autres d’avancer s’ils le souhaitent, tout en restant un partenaire privilégié de l’UE, à condition qu’elle accepte les règles du jeu.
Retrouvez l’intégralité de l’interview dans le numéro 21.