Suite aux révélations des Panama papers, l’Europe veut contraindre les multinationales à plus de transparence. Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des Affaires économiques, monétaires et fiscales, a accepté de répondre à nos questions. Entretien.
Votre proposition consiste à obliger les multinationales présentes dans l’Union européenne à publier leurs données fiscales et comptables dès que leur chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros : pourquoi avoir choisi ce seuil là en particulier ? N’exclut-il pas une grande partie des entreprises ?
Cette proposition, portée avec mon collègue Jonathan Hill, vise justement les entreprises multinationales qui sont les plus à même de se lancer dans des activités de planification fiscale agressive. On estime qu’au moins 6000 multinationales actives sur les marchés de l’UE devront établir un rapport d’informations pays par pays. Le chiffre d’affaires de ces entreprises représente environ 90% du chiffre d’affaires de toutes les multinationales et reprend celui déjà fixé par l’OCDE. Ce seuil est donc pleinement pertinent.
Cette directive ne risque-t-elle pas de porter un coup aux investissements en Europe ?
Je suis convaincu qu’il n’existe pas d’opposition entre transparence d’une part, et activité économique, attractivité et investissements d’autre part. Au contraire, et c’est tout le sens de nos propositions : nos mesures s’appliquent à toutes les multinationales présentes dans l’Union européenne ; elles éviteront une mosaïque de législations nationales, qui nuirait fortement au marché intérieur et donc à l’activité économique des entreprises européennes ; et elles façonnent une fiscalité en Europe favorable aux entreprises qui jouent selon les règles, et non à celles qui jouent avec les règles.
Qu’en est-il du projet de paquet “antifraude” présenté en janvier ?
Notre paquet de lutte contre l’évasion fiscale part d’un constat : certaines entreprises ne paient pas leur juste part d’impôt, voire ne paient pas d’impôt du tout. Cela n’est plus acceptable. Nos mesures reposent sur quatre piliers : une imposition effective – et non pas théorique – des entreprises; un saut qualitatif pour la transparence fiscale; une concurrence fiscale équitable et saine; et une stratégie externe pour lutter contre l’évasion fiscale à l’international et mieux appréhender la bonne gouvernance fiscale avec les Etats tiers. Je sais pouvoir compter sur l’appui précieux du Parlement européen pour avancer en matière fiscale.
Quel sera le calendrier d’élaboration et d’adoption finale de la proposition émise par la Commission européenne ?
Les premiers résultats sont déjà là : le 8 mars dernier – 40 jours à peine après sa présentation –, la proposition de Directive sur le reporting pays par pays, a été adoptée par les ministres des finances de l’Union. C’est une réussite majeure, en un temps record. Ces mesures, qui reprennent les recommandations de l’OCDE contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS, acronyme pour “Base Erosion Profit shifting”), permettront aux administrations de mieux contrôler les transferts irréguliers de profits entre entreprises et de mieux orienter leurs contrôles fiscaux. Concernant la proposition de Directive sur la lutte contre l’évasion fiscale, les discussions techniques progressent très rapidement au Conseil. La Présidence néerlandaise a confirmé son souhait d’aboutir à un accord politique. Je suis confiant que nous y parviendrons d’ici juin. Enfin, je souhaite que nous aboutissions dans les prochains mois sur notre proposition d’une liste noire commune européenne des paradis fiscaux.
Vous avez affirmé que “l’UE sera la première zone du monde à franchir le pas de la transparence intégrale” : croyez-vous que cette initiative pourra donner une nouvelle dimension à la lutte contre l’évasion et la fraude fiscale ?
Plus de transparence pour les multinationales est un élément clé dans la lutte contre la planification fiscale agressive et l’évasion fiscale. Elle permet aux décideurs, citoyens et consommateurs de connaitre réellement les pratiques de ces entreprises. Nous avons aussi fait des pas de géant sur la transparence pour les citoyens en Europe, notamment avec les accords conclus avec la Suisse, Andorre, Saint-Marin et le Liechtenstein – Monaco suivra bientôt – sur l’échange automatique d’informations relatives aux comptes financiers. C’est véritablement la fin du secret bancaire en Europe.
Malgré la transparence, il existe encore des régimes de faveur dans certains pays membres : une uniformisation fiscale serait-elle à terme, une solution envisageable en Europe ?
Une uniformisation fiscale serait en effet une solution efficace. C’est pourquoi nous avons relancé le projet d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS). Elle permettrait de créer un ensemble unique de règles que les entreprises transfrontalières pourraient utiliser pour calculer leur bénéfice imposable dans l’Union européenne. Nous travaillons actuellement sur cette proposition, que je présenterai d’ici la fin de l’année.