720 députés ont été élus ou réélus lors des élections européennes de juin 2024. Pour divers motifs, 30 d’entre eux, soit 4% de l’hémicycle, ne sont affiliés à aucun groupe politique constitué. Ils représentent, en langage parlementaire, les « non-inscrits ». Mais que signifie réellement ce terme ?
Au Parlement européen, l’étiquette de « non inscrit » ne désigne pas un groupe de députés à part entière, mais plutôt une somme d’individualités politiques disparates qu’un courant politique uni et identifié. De ce fait, leur position géographique dans l’hémicycle n’est pas conditionnée à la coutume, vieille de 1789, qui place, selon leur orientation politique, les élus à la droite ou à la gauche de la présidence. Les non-inscrits, eux, siègent tout en haut, au dernier rang.
Il n’en reste pas moins que cette appellation unique regroupe des profils manifestement hétérogènes. Entre propos complotistes, vélléités « anti-système », apologies du totalitarisme ou simples mis.e.s à l’écart de groupes, chaque eurodéputé.e « non-inscrit » l’est du fait de circonstances spécifiques, qui reflètent également de la diversité des tendances et courants qui émergent aujourd’hui en dissidence ou en opposition aux formations politiques traditionnelles.
Si les singularités politiques qu’implique ce statut semblent évidentes, le nombre de non-inscrits n’a cessé de décroître depuis 2014 – où 55 parlementaires élus figuraient sous cette « non-étiquette », puis 50 en 2019. Côté délégation française, aucun heureux élu du 9 juin 2024 ne siège sans bannière. Ces non-inscrits proviennent de huit États membres :
Le panorama des eurodéputés non-inscrits donne un aperçu de sensibilités politiques très variées. On y retrouve une grande diversité de courants, allant de la gauche marxiste à l’extrême droite monarchiste. Cependant, ils partagent pour la plupart un point commun : le rejet de la politique traditionnelle et de ses relais, marqué par une rupture avec la communication et le discours politique conventionnels, ainsi qu’un rapport aux médias repensé.
Des divergences idéologiques marquées avec les groupes institués
Dans le cas des six eurodéputés de l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW), un parti dont la cheffe de file se revendique « conservatrice de gauche », la stratégie de s’engager fermement sur des thèmes chers à l’extrême droite a créé la rupture. La scission, avec les députés de Die Linke – littéralement « La Gauche », siégeant dans le groupe éponyme, avait été actée en octobre 2023.
La Slovaquie est le deuxième pays le plus représenté parmi les non-inscrits. Parmi eux, cinq députés du Smer, parti du Premier ministre Robert Fico, ont été exclus de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates (S&D), après l’accord de coalition signé par Fico avec le parti d’extrême droite pro-russe SNS, en vue de former un gouvernement de coalition.
Coté grec, les deux eurodéputés du Parti communiste, attachés à une philosophie marxiste-léniniste, ne siègent dans aucun groupe de gauche, à l’inverse de leurs homologues du Parti communiste portugais (PCP) ou du Parti du Travail de la Belgique (PVDA). Enfin, le député élu de la Confédération de la Couronne polonaise, seul parti candidat aux élections se revendiquant ouvertement monarchiste, n’a logiquement pas trouvé de groupe auquel se rallier.
Bousculer les méthodes conventionnelles
Semblant manquer de lignes politiques clairement définies, souvent issus de la société civile, les députés non-inscrits misent sur une communication plus moderne, formatée pour et populaire sur Internet, teintée d’une forme de dégagisme. C’est le cas de Fydias Panayiotou, vidéaste chypriote de 24 ans élu l’année dernière. Soutenu par Elon Musk, qui partage très régulièrement ses vidéos prônant le « free speech » et la transparence, Panayiotou vulgarise le fonctionnement du Parlement européen. Il manie à son aise ces nouvelles formes de discours, populaires sur les réseaux sociaux, et redéfinit ainsi à sa guise la communication politique et le lien avec les électeurs.
Audacieux, le parti satirique allemand Die PARTEI s’essaye de son côté à bouleverser les normes établies, avec des discours teintés d’humour à la tribune. Un exemple ? Dans leur programme, entre une mesure de blocage des prix de première nécessité en contexte d’inflation se glisse, la généralisation du kebab à 3 euros, ou bien le maintien des vols court-courriers… pour les oiseaux, les insectes, Taylor Swift, et la présidente de la Commission européenne.
Fort de deux sièges occupés par le journaliste Martin Sonneborn et l’écrivaine Sybile Berg, ce micro-parti tente, sans manquer de sérieux lorsque nécessaire, de rendre la politique plus accessible, notamment à la jeunesse.
… quitte à tenir des propos polémiques, racistes et complotistes
User des médias sociaux pour toucher son audience ne suggère pas toujours l’humour ou l’honnêteté. Preuve en est avec le mouvement Se Acabó La Fiesta (« La fête est finie » en français), considéré par les analystes espagnols comme un « concurrent populiste d’extrême droite au parti Vox ». Alvise Perez, chef de file de ce mouvement revendiqué « anti-corruption et anti-système », partage régulièrement ses positions complotistes sur sa communauté Telegram.
Parmi elles, l’existence d’un « État profond », doté d’organes d’influence si puissants qu’ils dicteraient les décisions politiques. Cette référence, chère à Donald Trump, trouve un écho croissant auprès de sphères conspirationnistes, comme en témoigne l’élection de trois députés du mouvement.
De son côté, le parti SOS Roumanie fait également cavalier seul au Parlement. Sa cheffe de file, Diana Sosoaca, s’est notamment distinguée par des dérapages répétitifs. En juillet dernier, elle avait fait parler d’elle en portant une muselière lors d’une séance parlementaire, symbole de la censure dont elle serait victime. En octobre, sa candidature à l’élection présidentielle roumaine avait été invalidée par la Cour constitutionnelle roumaine. Alors créditée de 13 % d’intentions de vote, Sosoaca a réagi en multipliant les propos complotistes, recyclant de vieux poncifs antisémites : « Message aux juifs, aux Américains, aux Français, etc. : je n’ai pas peur de vous ! Je ne m’arrêterai pas ! Je ne me tairai pas ! Vous devrez me tuer et même là, je ne me tairai pas, car ma voix portera d’outre-tombe ! »
Ce dérapage n’est malheureusement pas un cas isolé. Le parti d’extrême droite allemand AfD (Alternative für Deutschland, littéralement Alternative pour l’Allemagne) avait été exclu, en mai dernier, du groupe parlementaire Identité et Démocratie, devenu Patriotes pour l’Europe, où siège notamment le Rassemblement national. L’AfD a depuis fondé un nouveau groupe, l’Europe des nations souveraines. Maximilian Krah, tête de liste de l’AfD, avait, lui, déjà été écarté de la campagne de son parti. La raison ? Il avait, auprès du quotidien italien La Repubblica, estimé que « tout SS n’était pas automatiquement un criminel ». De quoi faire déborder un vase déjà bien rempli.
Si en France l’extrême droite s’attache à polir son image en misant sur sa dédiabolisation, certains de ses homologues européens n’ont clairement pas choisi d’emprunter la même voie.