Élu député européen à deux reprises, en 1989 et, tout récemment, en 2024, Elio Di Rupo représente en quelque sorte la mémoire vivante de l’hémicycle de Strasbourg. L’avant et l’après : l’Eurodéputé belge nous dit tout sur l’évolution de l’institution.
- Êtes-vous à votre connaissance le seul Député à pouvoir revendiquer une telle antériorité ?
D’anciens Premiers-Ministres ont également siégé au Parlement européen. Je pense notamment à Guy Verhofstadt, qui a su mettre à contribution ses connaissances et son expérience politique. Jean-Luc Dehaene s’est également investi au niveau européen après 1999, notamment en étant Vice-Président de la « Convention européenne » en 2002. Sans oublier l’engagement européen de Wilfried Martens. Aujourd’hui, Sophie Wilmès siège également au Parlement européen. Et ce ne sont ici que des exemples belges !
Tout au long de mon parcours politique, j’ai toujours suivi les questions européennes avec beaucoup d’attention. J’ai vu la plus-value du projet européen en étant Bourgmestre, Ministre-Président, Président de Parti ou encore Premier-Ministre (ex : politique de cohésion dans nos territoires). Ma volonté est de mettre toute mon expérience, mes connaissances et mes contacts au service du Parlement européen et de mon groupe politique : le S&D.
Le Parlement européen compte 720 députés avec des profils très variés et des expériences diverses. Beaucoup d’entre eux ont souvent exercé des fonctions législatives ou toujours œuvré au niveau européen. Mais le Parlement européen a aussi besoin d’élus de terrain et/ou qui ont exercé des fonctions exécutives à quelque niveau que ce soit (communal, régional ou national). Le Parlement européen a besoin de cette diversité pour représenter au mieux les Européens.
- Quel souvenir conservez-vous, alors jeune député, de vos premiers pas dans le Parlement européen de 1989 ?
L’Europe comptait alors 12 pays. C’était une famille où tout le monde se connaissait. C’’était l’Europe triomphante partie importante de l’Occident libre et démocratique. Nous sommes aujourd’hui 27 États membres avec des pouvoirs significatifs comme la codécision du PE (et le contrôle budgétaire) avec le Conseil mais aussi de dramatiques faiblesse comme notamment la quasi-impossibilité de bloquer le gouvernement pro russe de Viktor Orban, qui porte atteinte aux valeurs et aux principes les élémentaires de l’Union européenne (ex : État de droit).
De manière générale, je suis extrêmement inquiet du chemin violent et clivant que prend notre société. Il s’agit peut-être là aussi d’une différence avec 1989. On a davantage besoin de ce qui nous unit plutôt de ce qui nous divise, de ce qui nous renforce plutôt de ce qui nous fragilise, de ce qui nous protège plutôt de ce qui nous agresse. Pour les sociaux-démocrates, il n’y a pas de place pour le rejet de l’autre ! Chacun mérite d’être défendu et représenté qu’elle que soit son origine.
- Quelles différences notoires constatez-vous ces premiers temps avec votre actuel mandat ? (Qu’elles soient politiques et institutionnelles aussi bien que liées au quotidien delà vie des parlementaires).
Il est trop tôt pour que je porte un jugement. Les premières impressions sont mitigées. J’ai pu constater une avidité sans pareille pour occuper les fonctions importantes au sein du PE par celles et ceux qui connaissaient les mécanismes internes. Et aussi un univers très complexe de procédures. Heureusement les fonctionnaires, les APA et autres membres des personnels sont quasi tous d’une amabilité et d’une disponibilité sans pareil.
Quant à la dimension politique, le PE possède d’énormes pouvoirs par rapport à 1989. Et, je compte les exercer.
Ajoutons qu’en 1989, le Parlement européen était constitué de 518 députés élus au suffrage universel depuis 1979. Aujourd’hui, nous sommes 720. C’est une belle différence. Nous sommes plus nombreux encore et devons réussir à nous faire entendre. Le groupe des « Sociaux & Démocrates » était aussi le plus grand groupe politique à l’époque avec 198 sièges contre 162 pour le PPE (époque de la Commission Delors).
Depuis 1989, le projet européen a fortement évolué avec de nombreux traités (Maastricht, Amsterdam, Nice et Lisbonne). L’Union européenne a des compétences beaucoup plus importantes aujourd’hui qu’hier. Les États membres restent souverains sur de nombreuses questions (ex : éducation, santé, défense, etc.). Mais la Commission européenne a aussi gagné en poids au fur et à mesure du temps.
« Tout au long de mon parcours politique, j’ai toujours suivi les questions européennes avec beaucoup d’attention. »
Autre exemple, les actes législatifs européens sont de plus en plus nombreux, où les Règlements prennent souvent le dessus par rapport aux Directives. Or, une Directive n’est pas la même chose qu’un Règlement. Un Règlement s’applique directement aux États membres, dès qu’il est adopté, sans qu’ils aient quelque chose à dire ou à faire (même s’il participe à son adoption à travers le Conseil).
L’Union européenne est aujourd’hui confrontée à des défis peut-être beaucoup plus grands qu’à l’époque : transition climatique, révolution numérique, intelligence artificielle, autonomie stratégique, géopolitique en pleine reconstruction, montée des régimes autoritaires, guerre aux portes de l’Europe, atteinte à l’État de droit, etc. Bref, l’Europe est à un moment décisif.
L’Union européenne a aussi connu pour la première fois de son histoire le retrait d’un État membre. Le Royaume-Uni à la suite d’un référendum en 2016.
Grande différence aussi par rapport à 1989, la représentation de l’extrême droite en Europe, et directement au sein du Parlement européen. Ensemble, les groupes politiques ECR, Patriotes et Souverainistes représentent 187 sièges (soit ¼). Ensemble, ils seraient la deuxième force politique du Parlement européen derrière le PPE et ses 188 sièges. Et il existe une tendance à dédiaboliser et à normaliser l’extrême droite. Par exemple, le PPE considère le groupe ECR comme de droite extrême et pas d’extrême droite.
L’extrême droite pourrait constituer une minorité de blocage si les groupes « pro-européens » ne se tiennent pas la main.
- Quelles ont été notamment les différences introduites par les événements suivants : traité de 1992, élargissements successifs de l’Union et … retrait de l’un de ses membres ?
Si on voulait être caricatural, ce que j’essaye d’éviter, on pourrait comprendre celles et ceux qui estiment que la bureaucratie européenne est excessive.
Plus fondamental, c’est le piège dans lequel se retrouve l’UE faute d’avoir réussi à adapter les traités en prévoyant les situations les plus extrême avant de s’être lancée dans un élargissement euphorique pensant que le capitalisme et la démocratie triomphaient et qu’aucun recul ne serait possible. C’était ignorer l’histoire des civilisations. Et aujourd’hui nous sommes contraints de subir Orban au moins jusqu’à la fin décembre
- En quoi consiste la tâche de la commission des Affaires étrangères dont vous êtes membre ?
Protéger et améliorer la vie de tous les européens en travaillant sur toutes les réalités géopolitiques.
La Commission des Affaires étrangères doit œuvrer pour permettre à l’Union européenne de jouer un rôle déterminant à l’échelle du monde. C’est d’autant plus important à l’heure des bouleversements géopolitiques et à la multiplication des défis internationaux (ex : transition climatique, révolution numérique, intelligence artificielle, autonomie stratégique, migration, etc.).
Mes priorités seront l’Europe de la défense (achats communs, industrie, interopérabilité, coopération avec l’OTAN, etc), une place forte dans le monde pour l’Europe, une autonomie stratégique ouverte avec le reste du monde, faciliter les prises de décision en matière de politique étrangère (ex : unanimité >< QMV), clarifier le rôle du Haut Représentant comme principal interlocuteur à l’étranger, encadrer les discussions sur l’élargissement de l’UE, avoir de véritables stratégies face aux grandes puissances comme la Chine, la Russie, l’Inde et les États-Unis, etc.
L’Union européenne doit pouvoir parler d’une seule et même voix. Nous pouvons voir les dégâts que provoquent des attitudes distinctes comme celle d’Orban à propos de l’Ukraine et de la Russie…
- Comment ambitionnez-vous l’avenir institutionnel du Parlement européen ? Quelles sont en la matière vos aspirations et vos revendications ?
Le Parlement européen pourrait également sortir renforcé s’il pouvait obtenir un réel pouvoir d’initiative. Actuellement, seule la Commission européenne peut proposer des initiatives législatives au Conseil et au Parlement européen (suivant les orientations politiques données par le Conseil européen). Le Parlement européen, qui est le cœur de la démocratie parmi les différentes institutions européennes, doit pouvoir bénéficier de ce rôle. Seuls les députés européens sont directement élus par les Européens. Ils ont donc une légitimité pour faire remontrer les préoccupations des citoyens et des territoires, en proposant des initiatives politiques (à discuter avec les autres acteurs européens). La Commission européenne devrait donc proposer une initiative à la demande du Parlement européen (possible aujourd’hui mais de manière très limitée).
Quid aussi d’une meilleure collaboration entre le Parlement européen et le Comité européen des Régions ? Les citoyens dénoncent souvent le déficit démocratique de l’Union européen et la distance qui séparent les institutions européennes des réalités territoriales. Composé d’élus locaux et régionaux, le CdR est un formidable outil au sein de l’Union européenne pour améliorer les politiques européennes, les rendre concrètes et répondre concrètement aux besoins des citoyens. Toutefois, il n’a qu’un rôle consultatif. Le Parlement européen pourrait (vu ses pouvoirs plus importants) mieux servir de relais pour les préoccupations régionales et locales. Sans oublier le Comité économique et sociale européen (CESE).
- Quels mots pour conclure ?
L’Union européenne souffre d’un grand manque de pédagogie. Les Européens ne comprennent pas l’Europe et ce qu’elle fait pour eux quotidiennement. Les institutions européennes ont la responsabilité de mieux expliquer l’Europe aux citoyens. À ce niveau, le Parlement européen est peut-être l’institution la mieux placée pour endosser ce rôle (vu qu’elle est composée d’élus directement choisis par les citoyens). En tant qu’eurodéputé, je compte aussi endosser ce rôle à travers ma communication.